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*lys*
26 mars 2008

Atelier d'écriture 3 - Lui.

Il y a des jours où j’aimerais n’être là qu’en auditeur libre dans ma vie, juste pour observer. Il y a des jours où j’aimerais qu’on me pose quelque part et qu’on m'oublie, comme aujourd’hui. Postée dans un coin du restaurant, j’ouvre les yeux, je ne respire plus.

Il y a d’abord cette silhouette fine, frêle, presque improbable.
Il y a ces cheveux bruns courts et pourtant en bataille.
Il y a ces fossettes au coin des joues, ces yeux rieurs et cette chemise bien repassée.
Il y a ces mains aux os cassants et aux ongles propres.
Et ce nez, imposant de fierté.

Il a un prénom presque unique. Quoi qu’il en soit original, hors du commun. Un prénom de fille, je l’aurai juré. Comme quoi… Prénom de rêveur, prénom ensorcelé à chuchoter pour chasser les mauvais songes. Chuchoter. Quel verbe pertinent. Ce jeune homme ne parle pas, il chuchote, murmure à l’oreille des gens quelques vastes complaintes pour les apaiser… « Tout doux, tout doux, Ola Bijou… » Un argot presque forcé tranche parfois avec son discours d’onomatopées. Des mots de banlieue contenus, soudain libérés.

Il pose un verre sur la table, puis deux. Serviettes. Couteaux. Fourchettes. Sel poivre. Des gestes calmes et assurés. Un sérieux soigneux et méticuleux. Il me regarde parfois d’un œil amusé. Mystérieux. J’ai beau plisser les yeux, me concentrer de tout mon saoul, je n’arrive pas à entrer dans ses pensées. Je reste à la porte de son mystère, avec dans la bouche une vague sensation amère de douceur mêlée de tristesse.
Il ajuste une table. Sort une nappe en papier. Un verre, puis deux. Couteaux. Fourchettes. Sel poivre. Il est calme et silencieux. Je le sais bavard parfois mais qu’avec eux. Le reste du temps, il a la tête baissée, les yeux qui brillent, et son regard qui se perd dans ses chaussures. Noires. Ses chaussures de cuir noir. Sous son pantalon noir et sa chemise noire. Noir. Essentiellement. Une sorte de sobriété poussée pour ne pas se faire remarquer. Disparaître. Pouf !
Le jour lèche le verre de la baie vitrée du restaurant. Ce restaurant pas plus grand qu’un mouchoir de poche. Son restaurant. Quoi qu’en dise sa timide modestie. Il est souvent gêné, parfois un peu pataud. Solitaire en fin de compte.
Il a rentré sa chemise dans son pantalon. Faute de goût ou exigence professionnelle...?

Une vieille femme entre. Il la regarde avec sa tête de jeune poussin sorti du nid.

-    « Excusez-moi, est-ce que faites de la choucroute ? »

Un sourire amusé illumine son visage alors qu'il répond que non, ils ne font pas de choucroute.

-    « Et si l’on commande à l’avance ? » insiste la visiteuse.

Il la raccompagne à la porte et lui chuchote à l’oreille que non, vraiment désolé, ils ne font pas de choucroute, même sur commande, au revoir, bonne journée… Envoûtée, la femme tourne les talons avec regret alors qu’il se retourne vers moi presque hilare :

-    « On n’a pas de chou ! »

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