Tout ira bien.
J'ai huit ans je regarde le cirque chez mon papa. J'adore regarder le cirque chez papa le mardi soir. On est d'abord passé chez l'épicier qui m'appelle princesse avec son sourire plein de dents en moins. J'ai pris deux langues de chat: une pomme, une coca. Même si la coca est toujours décevante. Je sautille dans la rue, la rue de l'Arbalète. J'imagine des chevaliers en cagoule se battant sur un pont-levis. Je sais que j'aurais de la glace en dessert. Je souris. On s'arrête devant l'animalerie pour que je regarde les bébés tortues sur leur fausse plage hawaïenne miniature. Et arrivés à la maison, on colle une langue découpée dans un post-it à la femme sur l'immense portrait au dessus du canapé. Parce que ma belle mère quand elle passe vite devant elle dit toujours qu'elle a l'impression que le tableau lui a tiré la langue. Je ris. De notre blague. De sa tête que j'imagine quand elle va rentrer. De ma frange mal coupée et de mon papa qui râle tu sais bien que je n'ai pas d'odorat quand je lui dis ça sent bon ça non?. C'est l'heure. J'allume la télé. J'ai huit ans et je regarde le cirque chez mon papa. Et puis à un moment, je ne sais pas vraiment pourquoi, ça n'est pas vraiment les clowns qui ne m'ont jamais fait peur, ce n'est pas vraiment les lions qui font semblant d'être méchants, c'est pas vraiment mon steack haché haricot vert ou le retard de ma belle mère, mais une angoisse m'asperge, me lie et me ligote. Des sanglots en paquets coincés sous ma glotte. Les yeux rouges et la bouche entre-ouverte. J'ai peur. De la mort j'ai peur. De l'infini j'ai peur. Je ne veux plus manger. Non je ne veux pas un peu de glace vanille pécan. Non je ne veux pas regarder la jolie fille qui fait des acrobaties. Ma maman. Ma maman elle sait que j'ai peur. Elle m'emmène chez le docteur une fois par mois. Elle sait. La panique est toujours là, présente, battante entre mes côtes quand on compose le numéro maternel. Et là je ne sais plus très bien comment, je ne sais plus très bien par quel moyen, mais elle a trouvé les mots. Les mots magiques. Une histoire de nuages, d'apaisement, de belle vie; des choses que j'avais déjà entendu des milliards de fois mais qui à ce moment là, à cette angoisse là, m'ont caressé la joue et m'ont dit tout ira bien. Tout ira bien.